Résister aux épreuves du temps, se réinventer tout en restant fidèle à ses racines : telle est l’histoire de Le Minor, une bonneterie bretonne qui, depuis 1922, défie les vagues de l’industrie de la mode. Entre la mer et la maille, cette marque a su s’imposer grâce à un savoir-faire unique. Des tricots de laine pour marins pêcheurs aux pièces incontournables du vestiaire contemporain, chaque vêtement raconte une exigence pour la qualité et la durabilité. Aujourd’hui, Le Minor prouve que l’on peut être centenaire et résolument moderne.
Sourire franc et regard vif, Sylvain Flet nous accueille dans l’atelier Le Minor. Depuis 2018, avec son associé Jérôme Permingeat, il veille sur cette manufacture comme on veille sur un précieux héritage. Le cliquetis des machines, le va-et-vient des rouleaux de maille, les gestes précis des couturiers et couturières donnent le rythme. Chaque pull, chaque marinière prend vie entre ces murs, du tricotage à la dernière couture : « Tous les vêtements sont façonnés à 100 % dans l’atelier. », lance-t-il, en désignant les métiers à tricoter, garants d’un savoir-faire que plus aucune école n’enseigne. À Guidel, Le Minor n’est pas qu’une marque de mode : c’est une mémoire vivante, un engagement et une exigence pour tricoter l’avenir.
Un siècle d’histoire et de résistance
« Ici, on a tout connu. », confie Marie-Jo Le Dreff avec émotion. Elle et Annick Le Guennec font partie de celles qui ont traversé les tempêtes, celles qui ont vu Le Minor renaître plus d’une fois, porté par une incroyable solidarité. L’histoire de cette entreprise, c’est celle de mains expertes qui n’ont jamais cessé de tricoter, même quand tout semblait perdu : « Ce qui nous a sauvés, c’est que l’on est restés unis, comme une famille. » Dans les années 90, quand la crise textile frappe et que les commandes s’effondrent, c’est ce lien entre les salariés qui maintient l’atelier debout : « On savait qu’on était les derniers à faire ça. Il fallait tenir. », raconte Annick. Tenir, malgré les licenciements, malgré les machines qui s’arrêtent, malgré les doutes. Tenir, parce qu’ici, chaque couture porte un pan d’histoire et de résistance.
Le Minor, c’est avant tout l’histoire de femmes inspirantes.
Sylvain FLET, CODIRIGEANT DE LE MINOR
« Le Minor, c’est avant tout l’histoire de femmes inspirantes. », résume Sylvain. Tout commence en 1922, lorsque Berthe Etui fonde la Manufacture de Bonneterie Lorientaise (MBL). Son ambition ? Fournir aux marins-pêcheurs bretons des chandails d’une qualité irréprochable, capables de résister aux embruns, au froid et à l’usure du large. À l’époque, les matelots embarquent pour des campagnes de pêche de plusieurs mois sur les bancs de Terre-Neuve et dans leur trousseau, les tricots MBL deviennent une seconde peau, une armure de laine. Berthe Etui, femme d’affaires avisée, comprend vite l’importance de son produit et se bat pour imposer son atelier dans un secteur alors dominé par les hommes. Sous sa direction, MBL grandit, traverse les années 30, et malgré l’Occupation, survit aux déplacements forcés de l’usine.
Pendant ce temps, en 1936, une autre femme écrit elle-aussi un chapitre de l’histoire textile bretonne. À Pont-l’Abbé, en pays bigouden, Marie-Anne Le Minor fonde sa propre entreprise avec une ambition différente : sauvegarder l’art de la broderie traditionnelle. À cette époque, les coiffes et costumes bretons commencent à disparaître, et avec eux, un pan entier du savoir-faire régional. Elle rassemble autour d’elle les meilleurs brodeurs du pays, donne une nouvelle vie à cet artisanat en l’adaptant à d’autres supports : vêtements de poupées, linge de maison, prêt-à-porter. Mais Marie-Anne Le Minor ne se contente pas d’être une entrepreneuse locale. Elle voit grand. Dès les années 50, son entreprise devient fournisseur de grandes maisons parisiennes comme Dior et Chanel : « Marie-Anne Le Minor va rééditer le kabig, cette veste de laine inspirée des goémoniers, et en faire une pièce iconique du vestiaire breton. », raconte Sylvain.
Les deux trajectoires de MBL et de Le Minor suivent leur propre route jusqu’en 1982, lorsque la Manufacture de Bonneterie Lorientaise rachète l’entreprise de Pont-l’Abbé, alors en difficulté. Un tournant décisif, orchestré par une troisième femme : Juliette Corlay. Arrivée à la tête de MBL dans les années 50, elle transforme une modeste manufacture en une véritable usine textile. Elle modernise la production, développe la marinière en coton, et fait grimper les effectifs jusqu’à 250 salariés. Mais en 1964, un incendie ravage l’usine : « Tout aurait pu s’arrêter à ce moment-là mais Juliette Corlay prendra la décision de tout reconstruire. », souligne Sylvain. Elle convainc ses fournisseurs de lui livrer laine et machines à crédit, relance la production avec les moyens du bord et finit par rebâtir un atelier à Guidel en 1965. Son obstination sauve l’entreprise et assure sa croissance jusqu’à la fusion avec Le Minor en 1982.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. À la fin des années 80, alors que l’industrie textile française vacille face à la mondialisation, Le Minor connaît de nouvelles turbulences. En 1987, Jean-Luc Grammatico rachète l’entreprise, mais il décède brutalement quinze jours plus tard. Sa sœur, Marie-Christine Grammatico, reprend alors le flambeau, sans y être préparée. Ce n’est pas une femme du textile, mais elle apprend. Avec passion et ténacité, elle s’investit corps et âme pour maintenir la production en Bretagne, malgré la déferlante des délocalisations. Elle innove, développe de nouvelles collections, mise sur l’export, notamment au Japon, où la marinière bretonne séduit un public exigeant. Pendant plus de trente ans, elle tient l’atelier à bout de bras, traversant la crise du textile des années 90 et 2000 qui voit disparaître la quasi-totalité des fabricants français.
Quand je suis arrivée, c’est une ancienne qui m’a appris. Aujourd’hui, c’est à mon tour de transmettre.
Marie-Jo Le Dreff, 40 ANS de savoir-faire au service de Le Minor
Lorsqu’en 2018, Sylvain et Jérôme reprennent Le Minor, ils savent qu’ils héritent de bien plus qu’un simple atelier : « On ne rachète pas juste une entreprise, on récupère un pan du patrimoine breton. », explique Sylvain. Ils découvrent une équipe où l’expérience se compte en décennies et où chaque geste perpétue un savoir-faire précieux : « Si on ne forme pas, ce savoir-faire disparaîtra. », alerte l’entrepreneur. Car ici, pas de formation standardisée : la maîtrise des métiers de la maille repose sur la transmission, sur cette chaîne humaine qui relie les générations. « Quand je suis arrivée, c’est une ancienne qui m’a appris. Aujourd’hui, c’est à mon tour de transmettre. », confie Marie-Jo avec fierté.
Dans les ateliers de Guidel, le martèlement régulier des machines à tricoter résonne comme l’écho d’un siècle de savoir-faire, porté par des générations d’ouvrières et quatre femmes qui, chacune à leur époque, ont tenu bon face aux tempêtes : Berthe Etui, Marie-Anne Le Minor, Juliette Corlay et Marie-Christine Grammatico. Quatre dirigeantes, quatre trajectoires singulières, pour un même engagement : préserver une industrie textile bretonne d’exception.
La maille en héritage
« Notre histoire est un socle sur lequel nous bâtissons l’avenir. », souligne Sylvain. Depuis un siècle, l’atelier tricote, coud, assemble des vêtements qui ont traversé le temps et les générations. Mais plus qu’un patrimoine, c’est un héritage vivant, toujours en mouvement, qui cherche à conjuguer tradition et modernité. L’ambition de Le Minor est simple : redevenir une marque référence de sa catégorie de produits, la belle maille.
Pour cela, Le Minor s’appuie notamment sur ses pièces iconiques, à commencer par le pull marin, reconnaissable à sa coupe ajustée et sa maille dense. Bien avant d’être un incontournable du vestiaire, ce vêtement était avant tout un outil de travail pour les marins, pensé dans les moindres détails : « La coupe près du corps limitait la prise au vent, la patte de boutonnage sur l’épaule, innovation écossaise, facilitait l’enfilage, et la maille serrée rendait le pull presque imperméable. », détaille Sylvain.
L’histoire de ce pull marin est indissociable de celle d’Éric Tabarly. En 1964, avant même que son nom ne résonne comme une légende de la voile, son père, négociant en laine, demande à Juliette Corlay, alors à la tête de l’atelier MBL, un pull pour son fils. Il doit être solide, confortable, taillé pour les longues traversées. Ce sera un modèle inspiré du pull de la Marine Nationale, avec sa maille dense et ses boutons emblématiques. Quelques mois plus tard, Éric Tabarly remporte la Transat anglaise en solitaire et devient un héros national. Son pull, immortalisé en une de Paris Match, contribuera à ancrer Le Minor dans l’histoire du vêtement marin.
Nos vêtements s’inspirent de la mer, mais ils ne sont pas réservés aux marins.
Sylvain FLET, CODIRIGEANT DE LE MINOR
Autre incontournable du vestiaire Le Minor : la marinière. Son histoire, bien que différente, est tout aussi marquée par l’évolution des usages. Jadis vêtement des parias, elle doit son entrée dans le monde de la mode à Coco Chanel, qui en fait une pièce iconique dans les années 1920. Chez Le Minor, chaque marinière est intégralement fabriquée dans les ateliers de Guidel, du tricotage à la confection. Contrairement aux productions industrielles souvent standardisées, Le Minor conserve une approche artisanale : les tissus sont tricotés sur d’anciennes machines circulaires, les étapes de remaillage et de vaporisation sont maîtrisées en interne, et les finitions sont soigneusement réalisées à la main.
La marinière comme le pull marin ne sont d’ailleurs plus cantonnés au cliché du vêtement breton : « Nos vêtements s’inspirent de la mer, mais ils ne sont pas réservés aux marins. », aime à rappeler Sylvain.
Tricoter l’avenir
Depuis sa reprise en 2018 par Sylvain et Jérôme, Le Minor s’attache à imaginer un véritable vestiaire contemporain qui s’adresse à toutes celles et ceux qui recherchent des vêtements qui ont du sens, des pièces bien faites, durables, élégantes : « Ce que nous voulons, c’est créer des vêtements qui traverseront le temps, qui seront aussi beaux dans dix ou vingt ans qu’aujourd’hui. » Une ambition qui se traduit par des pièces revisitées, du pull officier de marine aux coupes plus urbaines, à la marinière aux associations de couleurs audacieuses, en passant par le kabig, lui-aussi remis au goût du jour.
En découvrant l’atelier en 2016, nous avons été immédiatement séduits par ce savoir-faire. Cette passion, renforcée par l’histoire incroyable de la marque, nous anime encore aujourd’hui.
Sylvain FLET, CODIRIGEANT DE LE MINOR
Le Minor a récemment fêté ses cent ans, un cap symbolique qui s’est accompagné de nouveaux défis. Après avoir modernisé son site historique et investi massivement dans ses outils de production, la marque entend renforcer sa présence en France et à l’international. En parallèle, Le Minor ouvre ses portes au public, invitant chacun à découvrir les coulisses de la fabrication et à comprendre ce qui fait l’âme d’un vêtement de qualité. Une démarche de transparence et de transmission, fidèle à l’esprit de la marque, qui lui a notamment permis de décrocher le label Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) : « Ce label, c’est la reconnaissance de notre engagement pour une fabrication française d’exception. », souligne Sylvain.
Et la fierté des dirigeants de Le Minor ne s’arrête pas à la reconnaissance officielle. Aujourd’hui, la marque se positionne comme un acteur majeur du Made in France : « En découvrant l’atelier en 2016, nous avons été immédiatement séduits par ce savoir-faire. Cette passion, renforcée par l’histoire incroyable de la marque, nous anime encore aujourd’hui. Nous avons voulu la faire connaître et y apporter notre énergie, avec l’ambition de contribuer, à notre échelle, à écrire une nouvelle page pour que cette aventure reparte pour au moins cent ans. », conclut Sylvain. Parce que Le Minor, depuis 1922, tient debout. Et parce qu’ici, on ne plie pas, on tricote la maille d’une vie.